Les arrêtés anti-casseroles sont-ils légaux ?

mardi, 25 avril 2023 09:59
Untitled 1« La casserole qu'on surveille ne déborde jamais ». Mais la coupe semble pleine pour certains manifestants opposés à la réforme des retraites, qui s’arment de casseroles pour faire du bruit lors du déplacement d’un ministre ou du Président de la République lui-même. En réaction, des préfectures comme celles du Loir-et-Cher ou de l’Hérault ont pris des arrêtés interdisant les casseroles dans les zones de déplacement de certains membres de l’exécutif. Mais est-ce vraiment légal ?

Le 20 avril 2023, la préfecture de l’Hérault a été la première à interdire les « dispositifs sonores portatifs » en amont d’un déplacement du chef de l’État, car les casseroles sont devenues un symbole de la contestation de sa politique. Le 25 avril 2023, c’est la préfecture du Loir-et-Cher qui a interdit les « dispositifs sonores amplificateurs de son » afin d’éviter un concert de casseroles lors du passage d’Emmanuel Macron.

Certaines personnes se sont interrogées sur la légalité de ces arrêtés préfectoraux d’interdiction, évoquant les libertés publiques.

En tant qu’autorité déconcentrée, le préfet est titulaire d’un pouvoir de police administrative qui lui permet à ce titre de prendre des mesures de police. Pour que ces mesures soient légales, elles doivent avoir pour objectif de maintenir l’ordre public, qui est défini par les textes comme « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques »[1].

La tranquillité publique fait partie de l’ordre public. Les textes précisent sur ce point qu’une mesure de police administrative peut avoir pour finalité « Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que (…) le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits (…) et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique »[2].

Il faut d’abord observer que les arrêtés préfectoraux dont il est question ne visent pas spécifiquement les « casseroles » en tant que telles, mais tous les dispositifs bruyants destinés à troubler la tranquillité publique. Utilisée comme un tambour par des manifestants en colère, il est indéniable qu’une casserole est génératrice de bruits et que leur adjonction peut être de nature à troubler la tranquillité publique, de la même manière qu’une enceinte ou un mégaphone. Un arrêté de police administrative peut donc en interdire l'usage aux fins de troubler l'ordre public dans certaines zones, pour un motif circonstancié de tranquillité publique et pendant un laps de temps déterminé, c’est-à-dire lors du déplacement d'une personnalité politique par exemple.

Hors de tout déplacement politique et de la même manière, l’organisation d’un concert sauvage de casseroles ou la multiplication d’enceintes en pleine rue pourrait tout autant être interdite par une mesure de police administrative. C’est la protection de la tranquillité publique qui est ici en question, et pas celle de telle ou telle personnalité politique.

Mais est-ce alors une atteinte à la liberté d’expression des manifestants ?

Non. En droit français, la liberté d’expression est protégée par l’article 10 de la Constitution. Mais cette liberté n’est pas absolue : elle trouve ses limites dans la loi. La protection de l’ordre public, dont la tranquillité publique fait partie, constitue une limite légale à la liberté d’expression. Il n’est donc pas possible d’invoquer la seule liberté d’expression pour justifier un concert sauvage de casseroles, d'enceintes ou de mégaphones en pleine rue, quelle qu’en soit sa motivation. Il existe d’autres moyens légaux pour manifester en France.  

Certains observateurs ont critiqué les arrêtés préfectoraux d’interdiction des casseroles au motif d’un détournement possible du code de la sécurité intérieure, qui concerne le risque terroriste. Il est vrai que la préfecture de l’Hérault avait fait apparaître au titre de la motivation de son arrêté d'interdiction le risque d’attentat, ce qui n’a pas de sens. Mais cette motivation est superfétatoire : l’autorité de police administrative n’a pas à justifier d’un risque terroriste pour interdire les dispositifs bruyants destinés à troubler la tranquillité publique. Le raisonnement est le même, à plus grande ampleur, pour les free-party. C’est le calme qui est ici recherché, dans l’intérêt général.

La compétence du préfet et pas du maire à prendre un tel arrêté d’interdiction a également été contestée. Il est vrai que le maire est l’autorité de police de droit commun sur le territoire de sa commune. Mais le préfet dispose également de pouvoirs de police administrative lui permettant d’intervenir dans son ressort, de surcroît dans l’hypothèse d’une carence du maire. Aucune violation de la répartition des compétences ne paraît donc caractérisée.

La rédaction des arrêtés d’interdiction doit toutefois être examinée avec attention. En effet, c’est l’usage du dispositif sonore portatif qui semble pouvoir être interdit s’il vise à troubler la tranquillité publique et pas sa seule détention : il ne s’agit pas de verbaliser tous les cuisiniers du dimanche !

Par ailleurs, dans le système français, la liberté est la règle et la restriction de police l’exception[3]. Par conséquent, l’autorité compétente doit toujours, avant de prendre une mesure de police, s’interroger sur le caractère excessif, ou pas, de la mesure par rapport au risque de trouble à l’ordre public[4].

Il faut donc vérifier si l’arrêté en question est bien circonstancié, limité dans le temps et justifié par des circonstances locales particulières avant de conclure à sa légalité. Dans l’hypothèse d’un recours, il y a fort à parier que les arrêtés d’interdiction seraient validés en référé, en fonction toutefois de leur rédaction. Nul ne peut en effet troubler la tranquillité publique afin de porter des revendications politiques dans l’espace public.

 

[1] Article L. 2212-2 du CGCT

[2] Même article

[3] CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855

[4] CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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