Avocat Droit Public
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Mais cette liberté n’est pas infinie, comme le montrent les deux limites fixées par ces articles de valeur constitutionnelle : l’ordre public établi par la loi, et l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Historiquement, un délit d’offense au chef de l’État avait été créé par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Puni de 45 000 euros d’amende, mais tombé en désuétude sous la Vème République, ce délit a été abrogé par la loi du 5 août 2013 suite à un arrêt célèbre de la Cour européenne des droits de l’Homme condamnant la France (affaire dite de l’affichette « Casse-toi pov' con »).
Mais l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État n’est pas pour autant un blanc-seing donné pour insulter librement le Président depuis lors.
Les banderoles anti-Macron (ou ciblant tout autre chef d’État français en exercice) entrent en effet parfaitement dans la qualification pénale de l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique défini à l’article 433-5 du code pénal :
« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
En outre, comme le relevait le Professeur Olivier Beaud auteur d’un livre remarqué sur la question (L'Express), le chef de l’État est protégé de l’injure et de la diffamation publique comme tout citoyen ordinaire (articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Autant de qualifications pénales pouvant être mobilisées pour sanctionner les contrevenants. Associer le nom du Président Macron à un virus responsable d'une pandémie très meurtrière relève en effet indéniablement a minima de l'injure.
D’origine législative, ces articles du code pénal et de la loi sur la liberté de la presse doivent être regardés comme des limites légitimes et indispensables à la liberté constitutionnelle d’expression, posées par la loi.
Bien évidemment, les sanctions posées par le code pénal et la loi sur la liberté de la presse constituent des plafonds rarement appliqués par les tribunaux, et destinés à être modulés en fonction du passé pénal ou des motivations des individus interpellés. Dans le cas de l’affaire « Casse-toi pov' con », le militant socialiste qui avait brandi une affichette insultant le Président Sarkozy à Laval avait par exemple été condamné à seulement 30 euros d’amende avec sursis (Le Figaro).
Alors non, il n’est pas possible juridiquement d’insulter impunément le Président de la République, même par le biais de slogans apposés à la fenêtre de son appartement, qu’on soit ou non d’accord avec la politique menée. Se garder toujours de l'écueil relevé par Paul Valéry "Qui ne peut attaquer le raisonnement attaque le raisonneur".
En revanche, l'agent qui abuse du droit de retrait en l'exerçant dans une situation qui ne le justifie pas s'expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement pour abandon de poste.
La question est donc la suivante : la reprise des classes imposée à partir du 11 mai aux enseignants constitue-t-elle une situation de danger grave et imminent justifiant leur droit de retrait compte tenu de la circulation active du coronavirus covid-19 sur notre territoire ?
Deux hypothèses semblent devoir être distinguées :
Le juge administratif examinera le cas échéant la légalité du retrait d’un agent au cas par cas au regard de l’importance et de la réalité des mesures prises par l’administration et de la pathologie invoquée.
Mais le fait d’imposer à tous les enseignants de reprendre le travail le 11 mai n’est pas sans risque pour l’État.
Il est intéressant de rapprocher la situation actuelle de reprise des classes pendant l’épidémie de coronavirus covid-19 d’un précédent jurisprudentiel rendu par le Conseil d’État le 6 novembre 1968.
Le contexte était alors le suivant : l’État maintient les classes pour tous ses agents sans distinction pendant une épidémie de rubéole qui frappe la ville de Sancerre aux mois de mai et juin 1951 et dont ont connaissance les pouvoirs publics.
Une institutrice des cours préparatoire et élémentaire à l’école des filles de Sancerre, Madame Saulze, est donc maintenue en poste comme tous les agents alors même qu’elle est enceinte. Son enfant Pierre va naître avec de graves infirmités par la suite (diminution de l’activité rétinienne et surdité). Le Conseil d’État jugera alors que :
Il en résulte que l’État peut engager sa responsabilité sans faute au regard d’agents publics qu’il aurait maintenu en fonction sans considération de leurs particularités (théorie de la « situation dangereuse » engageant la responsabilité sans faute pour risque de l’État).
Par hypothèse, la responsabilité de l’État pourrait donc être engagée si le ministre de l’Éducation nationale s’oppose à l’exercice légitime du droit de retrait d’un agent « à risque » en le maintenant coûte que coûte en classe pendant l’épidémie de coronavirus covid-19 si ce dernier venait malheureusement à contracter la maladie en service. Se posera toutefois pour l’agent ou ses ayants droit la question de la preuve puisqu’il faudra démontrer au juge le lien avec le service.
Même dans l’hypothèse d’une épidémie comme le coronavirus covid-19, le droit de retrait ne doit donc pas être exercé à la légère par les enseignants à partir du 11 mai prochain. Mal utilisé et portant atteinte au principe de continuité du service public, il expose les agents à des sanctions disciplinaires et peut ajouter de la crise à la crise en paralysant la vie sociale et économique du pays après le confinement.
En revanche, l’État devra veiller à protéger ses agents les plus vulnérables, sauf à risquer de voir sa responsabilité engagée.
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