Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

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Le démantèlement programmé de la « jungle » de Calais pose la délicate question de la répartition de ses quelques 10.000 occupants dans les régions françaises. Le plan « Cazeneuve » propose une répartition de ces migrants dans les communes, en adéquation avec les capacités d’accueil de ces dernières, ce qui n’est pas sans susciter une forte opposition locale.

C’est dans ce contexte que le maire d’Allex (Drôme), une commune de 2.500 habitants, a souhaité organiser un référendum local sur l’accueil de 50 migrants envoyés par l’Etat sur le territoire de sa commune. Si l’opportunité politique d’une telle consultation se comprend aisément, se pose nécessairement la question de sa légalité juridique.

Le référendum local est encadré par l’article 72-1 de la Constitution, précisé par les articles LO1112-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui prévoient une procédure assez simple :

  • L’exécutif local est seul compétent pour proposer à l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’un référendum local,
  • L’assemblée délibérante fixe par délibération les modalités d’organisation du référendum local, le jour du scrutin, convoque les électeurs et précise le projet d’acte ou de délibération soumis à l’approbation des électeurs,
  • La délibération est transmise au Préfet (en charge du contrôle de légalité),
  • Le scrutin ne peut intervenir moins de deux mois après cette transmission,
  • Le projet est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin, et s’il réunit la majorité des suffrages exprimés,
  • Si le projet est adopté, la collectivité est tenue de suivre la décision des urnes (le référendum est décisionnel et non consultatif, ce qui le différencie de la simple consultation locale).
Tout projet ne peut toutefois pas donner lieu à référendum local dans la mesure où le champ d’application de telles consultations est limité par la loi :

  • Le projet soumis à référendum doit relever de la compétence de la collectivité qui l’organise,
  • Et le projet ne peut pas être de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle.
Au cas d’espèce, le maire de la commune d’Allex a proposé à son conseil municipal, qui l’a accepté, d’organiser un référendum local sur l’accueil de migrants dans la commune, respectant ainsi la procédure susvisée du CGCT en la matière. Toutefois, il ne fait aucun doute que l’hébergement d’urgence (compétence dont relève l’accueil de migrants sur un territoire) est une compétente étatique, qui ne relève donc pas de la compétence de la commune, malgré la décentralisation.

Saisi en urgence par le Préfet de la Drôme, le Tribunal administratif de Grenoble a donc logiquement suspendu l’organisation du référendum local prévu à Allex, pour violation d’une condition de fond du référendum local, posée par le CGCT.


L’exemple d’Allex démontre ainsi, s’il était besoin, que le maire ne peut pas, en l’état actuel du droit, organiser de référendum (décisionnel) local sur l’accueil de migrants dans sa commune.

Seule une évolution législative pourrait changer la donne en la matière en élargissant les possibilités de recours, pour l’exécutif local à ce procédé de démocratie directe, ou en permettant à l’Etat d’organiser des consultations locales sur tous sujets (la compétence de l’Etat étant limitée en la matière aux grands projets avec un impact environnemental, comme à Notre-Dame-des-Landes).

Nul doute que cette impasse juridique ne calmera pas les tensions sur l’accueil des migrants à l’échelon local.

***

Retrouvez mon intervention sur ce sujet sur Radio classique : 

Intervention sur Radio classique : le maire peut-il organiser un référendum local sur l’accueil de migrants dans sa commune ?
 
SisypheAvocats
Jour après jour depuis l’incident du 8 octobre (jet de cocktail Molotov à la cité Grande Borne dans l’Essonne), les manifestations de policiers se répètent partout en France, sur la base de revendications qui peuvent s’entendre (baisse des effectifs, manque de moyens, demande d’instauration d’une présomption de légitime défense).

Force est toutefois de constater que toutes ces manifestations présentent un caractère « sauvage » dans la mesure où :

  • Elles ne sont pas déclarées,
  • Elles ne sont pas autorisées,
  • Elles sont organisées de nuit,
  • Elles comportent en leur sein des policiers en service, et en uniforme (brassards),
  • Et elles impliquent l’utilisation de véhicules de service.
Comme toute liberté, la liberté de manifester est pourtant un droit qui s’exerce dans les limites de la loi, et de la protection de l’ordre public.

Par conséquent, toute manifestation emportant occupation du domaine public (voirie publique) implique une déclaration préalable aux autorités compétentes, à savoir le maire, ou le Préfet (en fonction de l’ampleur de l’événement envisagé) 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date de la manifestation (deux mois avant à Paris) (Articles L211-1 à 4 du Code de la sécurité intérieure).

Cette déclaration doit comporter :

  • Une lettre de demande d’occupation temporaire du domaine public précisant le but de la manifestation, l’emplacement et le nombre de personnes attendues,
  • Une liste des membres de l’équipe d’organisation,
  • Et l’itinéraire (défilé, cortège, etc.).
La demande fait alors l’objet d’une instruction par les pouvoirs publics, qui s’assurent que l’événement intervienne dans le respect de l’ordre public (s’agissant notamment de la sécurité des biens, des personnes, des services de secours mis en place, des assurances nécessaires, etc.).

Puis les autorités compétentes délivrent à l’organisateur de l’événement une autorisation qui peut impliquer des obligations (quant aux parcours, aux horaires, etc.), l’interdiction de la manifestation ne pouvant être justifiée que par le respect de l’ordre public.

Ainsi, une manifestation nocturne ne sera pas autorisée, prenant en considération les impératifs de l’ordre public (tranquillité publique).

Le fait d’organiser une manifestation publique sans autorisation est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende (Article 431-9 du Code Pénal).

Compte tenu du cadre législatif et réglementaire rappelé, on comprend mal pourquoi les policiers piétinent allègrement, et avec constance, les formalités administratives requises pour l’organisation de leurs propres manifestations.

Est-il par ailleurs nécessaire de rappeler que la liberté de manifester ne saurait pouvoir s’exercer sur le temps de service des agents, ni impliquer l’utilisation des moyens du service (uniformes, brassards, véhicules de service), sauf à prendre le risque d’une sanction disciplinaire en application des dispositions statutaires applicables à la fonction publique d’Etat ?

Ou que la « grève du zèle » assumée par certains policiers pourrait s’assimiler au mieux comme un manquement déontologique, au pire comme une violation du devoir d’obéissance du fonctionnaire ?

Plus encore, que le Code de déontologie de la Police nationale (Article R.434-29) interdit purement et simplement le droit de manifester pendant les heures de service (sur le fondement de l’impérative obligation de neutralité qui leur incombe) ?

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L’image d’un « deux poids deux mesures » donnée par des policiers ne prenant pas la peine de respecter la loi qu’ils sont pourtant censés faire appliquer chaque jour est plus que regrettable. Ce, d’autant plus dans une période de défiance généralisée des citoyens envers l’autorité. Au surplus, une telle violation des règles applicables dessert les propres revendications des agents.

Gageons que les policiers sauront rectifier le tir à l’avenir pour l’organisation de leurs manifestations, la loi française étant la même pour tous (Article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789).
 
Début novembre 2016, le Ministère de la santé a déployé une campagne nationale de « prévention du VIH » visible dans toutes les villes de plus de 20 000 habitants, notamment via affichage dans la rue, sur des bus et dans des centres commerciaux.

Cette campagne ministérielle, ciblant spécifiquement le public homosexuel masculin, n’en finit plus de faire polémique depuis lors, en raison, notamment, des slogans très suggestifs retenus :

affiche

Campagne du Ministère de la Santé – Novembre 2016

Les réactions de certains passants ont été immédiates, les citoyens s’offusquant, au nom de la protection de l’enfance, de la proximité de ces affiches avec des écoles :
La presse rapporte que des opérations de « nettoyage » des affiches ministérielles vues comme « de propagande » ont été organisées, à proximité des écoles.

À tel point que la Ministre de la Santé elle-même a dû prendre la parole pour défendre la campagne initiée par son Ministère, afin d’éteindre la polémique :


En dépit de cette prise de parole ministérielle, les maires d’Aulnay-sous-bois (93) et d’Angers (49) ont été les premiers à prendre des arrêtés municipaux interdisant la campagne de santé publique susvisée, au nom, notamment, de la protection de l’enfance (BFMTVmais aussi des « bonnes moeurs ».

Le maire d’Angers a ainsi rendu publique la lettre qu’il a adressée à la société JC DECAUX, lui enjoignant de retirer sans délai cette campagne d’affichage sur tous les supports de la ville d’Angers, directement aux abords des écoles et sur les parcours des bus scolaires :
cxzo9whuoaaccgbLettre du maire d’Angers à la société JC DECAUX

Une telle situation pose une vraie question juridique de conflit de compétences entre deux personnes publiques distinctes, qui justifie le présent article :

  • d’une part, l’Etat, qui par la voix du Ministère de la Santé, initie une campagne publicitaire au nom de la protection de la santé publique (lutte contre le VIH),
  • d’autre part, une commune, qui par la voix de son maire, tente de bloquer la campagne étatique, au nom de l’ordre public et/ou de la protection de l’enfance.
Rappelons d’ores et déjà que, contrairement à une croyance répandue, l’Etat n’a pas (en théorie) l’ascendant juridique sur les collectivités territoriales : la libre administration de ces dernières est protégée constitutionnellement (article 72 de la Constitution). Les communes ne sont donc pas directement sous l’autorité de l’Etat (outre l’existence du « contrôle de légalité ») et peuvent donc prendre des décisions qui leur sont propres, en s’opposant, le cas échéant, de manière circonstanciée et justifiée, à l’autorité étatique.

Dans l’absolu, la seule volonté de l’Etat ne suffit donc pas pour imposer aux communes une campagne publicitaire, même présentée comme « de santé publique », ces dernières pouvant tout à fait essayer de s’y opposer, sur le fondement du principe de libre administration des collectivités territoriales.

L’opposition de la commune ne saurait toutefois, a contrario, pouvoir reposer sur sa seule volonté discrétionnaire :

  • d’une part, l’interdiction ne peut pas être générale et absolue, conformément à la formule consacrée (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520),
  • d’autre part, une motivation juridique suffisante doit pouvoir justifier l’interdiction prononcée.
En premier lieu, force est de constater, au cas d’espèce, que les premiers arrêtés municipaux publiés ne portent pas d’interdiction générale et absolue : les maires d’Aulnay-sous-bois et d’Angers ont tous deux prononcé l’interdiction de l’affichage de la campagne étatique seulement aux abords de leurs écoles, et sur les parcours des bus scolaires (et non sur l’ensemble de leur territoire), se prémunissant ainsi d’un premier risque d’illégalité de leur arrêté municipal.

En deuxième lieu, si le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité et d’enseignes est protégé en France (article L581-1 du Code de l’environnement), il est indéniable que le maire dispose tout à fait, tant au titre de ses pouvoirs de police, que de la clause générale de compétence de la commune (en s’appuyant sur son conseil municipal), de prérogatives liées à la protection de l’enfance sur son territoire (et plus encore depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance) pouvant légalement y faire obstacle. La protection de la morale publique, composante de l’ordre public, paraît par ailleurs plus délicate à manier, mais elle existe (CE 18 décembre 1959, Société « les films Lutetia », n°36385).

Toute la difficulté de la réponse à apporter à la question posée par cet article tient toutefois à la délicate qualification juridique des faits en l’espèce : la campagne publicitaire du Ministère de la Santé porte-t-elle atteinte à la nécessaire protection de l’enfance sur le territoire des communes, ou bouleverse-t-elle l’ordre public établi sur ces dernières ?

Si la réponse est oui, les arrêtés municipaux pourraient être justifiés ; si la réponse est non, ils pourraient être annulés.

Il n’appartient qu’au juge administratif, éventuellement saisi (au besoin, en référé), de répondre à cette question. Nous ne sommes pas dupes de l’instrumentalisation politique opérée sur ces arrêtés. Mais nous estimons pour notre part, d’un point de vue strictement juridique, au regard de l’hypersexualisation des affiches en question, de leur caractère suggestif, et de leur proximité géographique immédiate avec des écoles, que la légalité des arrêtés municipaux pourrait se défendre, en tant qu’elle se fonde sur la protection de l’enfance, et que le périmètre de l’interdiction est limité (a minima, elle se plaide). Car en réalité, contrairement au faux débat qui s’est installé, ce n’est naturellement pas l’homosexualité qui est en cause dans les affiches du ministère de la santé, mais leur caractère sexué, et leur proximité géographique immédiate avec des écoles.

Nous regrettons toutefois que cette typologie d’arrêtés municipaux, et la polémique engendrée cible une campagne étatique de santé publique, alors que de nombreuses publicités « classiques », chaque jour plus sexualisées, mériteraient systématiquement des interdictions similaires près des écoles de la part des pouvoirs publics.

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