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Le lien avec l’exploitation doit donc s’entendre comme fonctionnel, c’est-à-dire que le gîte ou la chambre d’hôtes doit être le prolongement de l’exploitation agricole, en restant son accessoire. Au sens du droit de l’urbanisme, le gîte ou la chambre d’hôtes doit donc rester le prétexte à accueillir des visiteurs sur l’exploitation pour la leur faire découvrir ou commercialiser ses produits, sans avoir de vocation propre d’hôtellerie dépourvue de tout lien avec l’exploitation. Le fait d’avoir la qualité d’exploitant agricole ne suffit pas pour justifier d’un gîte ou de chambres d’hôtes sur son exploitation agricole : il doit y avoir une complémentarité entre l’activité de gîte rural ou de chambre d’hôtes et l’activité de l’exploitant agricole, qui doit pouvoir être démontrée au besoin. L’opération ne doit enfin pas être strictement économique pour l’exploitation agricole pour pouvoir être autorisée. |
[1] Réponse ministérielle à question écrite n° 38140 (M. Dupont) JO Sénat Q 2 mai 2002, p. 1305
[2] Réponse du Ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, JO Sénat du 19/01/2006, p. 174
[3] Réponse ministérielle à question écrite n° 80006 (M. Breton) JOAN Q 29 septembre 2015, p. 7434
[4] CE, 14 février 2007, n° 282398
[5] Rép. Min à la QE n°12448 –JOAN 15 janvier 2008 page 351
[6] Cour de Cassation, 21 novembre 1996, n° 94- 21765 MSA / Epoux Bauchau
[1] CE 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles
[2] CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395122 ; CE, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 395223
[3] CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 22NT00333 : la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé que la statue de l’archange Saint-Michel devait être retirée du domaine public communal aux Sables d’Olonne
[5] Le Vœu des échevins de Lyon est un vœu fait en 1643 par le prévôt des marchands de Lyon et quatre échevins, de rendre hommage chaque année à la Vierge si l'épidémie de peste cessait. Comme l'épidémie cessa, le peuple tint sa promesse et rend depuis hommage à la Vierge, chaque année, le huit septembre.
[1] Article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animé
[2] Articles R. 211-10, R. 211-12 et R. 211-13 du code du cinéma et de l'image animé
[3] Article R. 311-2 du code de justice administrative
[4] Article L. 521-1 du code de justice administrative
[5] CE, ass., 24 janvier 1975, Ministre de l'Intérieur c/ Sté Rome-Paris Film, n° 72868
[6] CE, 30 juin 2000, n° 222195
[7] CE, ord., 23 juin 2009, n° 328678
[8] CE, 13 janvier 2017, n° 397819
[9] CE, 28 septembre 2016, n° 395535
[10] TA Paris, 18 février 2016, n° 1601822/9
[11] CE, 5 avril 2019, n° 417343
[12] CE, 4 mars 2019, n° 417346
L’association requérante faisait valoir que l’atteinte était caractérisée sur 2 libertés fondamentales : la liberté de manifester et la liberté d'expression des courants de pensée et d'opinion, qui font l’objet d’une protection constitutionnelle, conventionnelle et législative.
Selon l’association Comité Action Palestine, interdire de façon générale et absolue toutes les manifestations de soutien au peuple palestinien, alors que les risques de troubles à l’ordre public ne sont pas avérés, notamment au vu du déroulement de récentes manifestations ayant le même objet, qu’une crise humanitaire est en cours dans la bande de Gaza et que ces manifestations auront lieu même si elles sont interdites porte une atteinte grave et manifestement illégale à ces deux libertés.
Le Conseil d’État a rejeté ce référé liberté… tout en donnant raison en pratique à l’association requérante.
La haute juridiction administrative a rappelé que le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales, doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
Le système français est en effet un système équilibré : la liberté de manifestation est protégée, mais trouve ses limites dans la nécessaire protection de l’ordre public. Une manifestation peut donc être interdite si elle risque de dégénérer et de créer des troubles à l’ordre public (violences contre les personnes, dégradations des biens, commission d’infractions pénales), ce qu’il appartient à l’autorité administrative d’apprécier (articles L. 211-1 à -4 du code de la sécurité intérieure).
Le point central de ce dossier est que la mesure d’interdiction d’une manifestation ne peut être prise qu’en dernier recours et doit être motivée au cas par cas, c’est-à-dire manifestation par manifestation. La jurisprudence est constante en la matière : la liberté est la règle et la restriction de police l’exception (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855 ; CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520).
Or dans son télégramme du 12 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur a donné consigne aux préfets d’interdire systématiquement et indistinctement toutes les manifestations pro-palestiniennes sur le territoire national.
On peut toutefois raisonnablement penser que toutes ces manifestations n’ont pas automatiquement vocation à dégénérer en pratique : certaines pourraient se dérouler dans le calme. S’il n’y a pas de risque de trouble à l’ordre public, la manifestation doit donc être autorisée.
C’est ce qu’a subtilement rappelé le Conseil d’État dans son ordonnance.
Le Conseil d’État a d’abord jugé que certaines manifestations devaient systématiquement être interdites, car elles créaient par nature un risque de trouble à l’ordre public en donnant la liste suivante :
Cependant, dans le même temps, le Conseil d’État a indiqué que le télégramme ministériel du 12 octobre 2023 était mal rédigé (« en dépit de sa regrettable approximation rédactionnelle ») et l’a donc corrigé en rappelant lui-même l’interprétation à retenir : il appartient à l’autorité préfectorale d’apprécier au cas par cas, à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l’ampleur des risques de troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l’évènement.
Selon le Conseil d’État, il n’est donc pas possible d’interdire systématiquement toutes les manifestations en lien avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elles entendent soutenir, sans apprécier au cas par cas si un risque de trouble à l’ordre public est localement caractérisé.
C’est un retour à la jurisprudence traditionnelle en la matière, dont le télégramme contesté s’était très largement écarté.
Le Conseil d’État a donc privé d’effet le télégramme du ministre de l’Intérieur en rappelant l’état de sa jurisprudence traditionnelle en matière de conciliation des libertés fondamentales avec les risques de troubles à l’ordre public : une appréciation au cas par cas et pas générale et indifférenciée)… tout en rejetant le recours de l’association Comité Action Palestine.
Cette solution pourrait paraître paradoxale, mais il n’en est rien puisque le Conseil d’État a lui-même neutralisé le télégramme du ministre de l’Intérieur, qui ne peut donc plus servir de fondement à une interdiction générale et absolue de manifestations en lien avec le conflit israélo-palestinien à l’avenir.
Le rejet du référé liberté était donc logique avec les précisions du Conseil d’État, puisque le télégramme corrigé par le rappel du juge administratif sur la conciliation nécessaire entre les libertés fondamentales et l’ordre public ne portait plus d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Il faut retenir que le Conseil d’État a donc jugé le 18 octobre 2023 que :
« (...) Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »[1].
Récemment le 3 mai 2023, le Conseil d’État a ordonné à la mairie de Paris de retirer une banderole illégale de soutien à la grève contre la réforme des retraites de la façade de l’hôtel de ville par exemple[2].
Le principe de neutralité interdit donc au Maire de privatiser la façade de la mairie, qui ne lui appartient pas, pour exprimer ses opinions.
Cependant il est toléré en pratique que la façade des édifices publics puisse servir de support à des manifestations de solidarité conformes aux engagements internationaux de la France. C’est ainsi que les mairies ont pu légalement afficher le drapeau ukrainien sur leur façade.
Les signes de soutien à des causes humanitaires ou la lutte contre les discriminations, conformes à la loi française, peuvent ainsi être également tolérés sur les édifices publics.
La jurisprudence administrative a déjà accepté la présence d’un drapeau LGBT au fronton d’une mairie sur le fondement de la lutte contre les discriminations qui sont prohibées par la loi[3].
C’est aussi le cas pour des sujets locaux, sous réserve d’un intérêt public local : l’usage de mobilier urbain par une municipalité sur un sujet ayant strictement trait à des affaires locales a déjà été validé par le Conseil d’État[4].
Lors de la visite de personnalités étrangères, il est également d’usage d’afficher temporairement le drapeau de l’État invité sur la façade de l’édifice public.
On peut donc conclure que les mairies françaises peuvent légalement afficher temporairement sur la façade de leur hôtel de ville un drapeau israélien en signe de solidarité à la suite des attaques du 7 octobre 2023, dans le respect de la politique internationale de la France.
Enfin, pour être complet sur le sujet, la jurisprudence administrative a déjà sanctionné une municipalité qui avait affiché de manière permanente (pendant plus d’un an) un drapeau palestinien sur le fronton de son hôtel de ville pour marquer son soutien aux palestiniens en dehors de tout événement particulier[5]. La sanction aurait été similaire pour un drapeau israélien, car le juge administratif ne tolère qu’un affichage temporaire pour des considérations humanitaires et pas une marque de soutien permanent politique à l’une ou l’autre des parties.
Le pavoisement de l’édifice public doit donc toujours rester temporaire dans ce cadre, car il n’appartient pas à une municipalité de prendre parti dans un conflit international, mais simplement de marquer sa solidarité face à un événement tragique.
[1] CE, 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne, n°259806
[2] TA Paris, 3 mai 2023, n°2308852/2
[3] TA Paris, 17 mai 2019, n°1813863/4-2
[4] CE, 23 juillet 1986, M. Divier, n°55064
En revanche, l'agent qui abuse du droit de retrait en l'exerçant dans une situation qui ne le justifie pas s'expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement pour abandon de poste.
La question est donc la suivante : une contamination de locaux publics par des punaises de lit constitue-t-elle une situation de danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires ?
2/ La contamination de locaux publics par des punaises de lit, une situation regrettable, mais pas un danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires
L’exercice du droit de retrait des fonctionnaires reste une situation très exceptionnelle.
Même si l’appréciation du danger est toujours subjective, seule une situation de vrai danger grave et imminent pour la santé physique de l’agent peut justifier sa mise en œuvre. Le juge administratif exerce son contrôle sur l’existence d’un motif raisonnable qui permettrait à l’agent de penser qu’un tel danger est caractérisé pour sa santé physique.
Or le juge administratif, qui exerce un contrôle normal en la matière, ne reconnaît que rarement l’existence d’un vrai danger autorisant le droit de retrait des fonctionnaires. Sans doute pour ne pas ouvrir la porte à un exercice abusif de ce droit dans la fonction publique et ne pas porter atteinte à la continuité du service public.
Le juge administratif exige ainsi une situation de danger grave pour justifier le droit de retrait, comme la présence d’amiante dans les locaux avec un vrai risque cancérigène[1], un risque d'agression d'un agent par ses collègues ou des usagers[2] ou une situation de harcèlement moral[3].
L’examen de la jurisprudence permet de conclure qu’une contamination de locaux publics par des punaises de lit, bien que très regrettable, ne constitue pas pour autant une situation de danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires :
Les fonctionnaires ne peuvent donc pas exercer leur droit de retrait sur le seul fondement de la présence de punaises de lit dans les locaux, car cette situation ne sera pas jugée suffisamment dangereuse par le juge pour justifier l’exercice de ce droit.
Prudence en la matière, car si les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, l'agent peut faire l'objet d'une retenue pour absence de service fait ou de sanctions disciplinaires.
Ce qui ne signifie pas pour autant que l’administration ne doive rien faire : l’employeur public est garant de la santé et sécurité de ses agents et doit donc tout mettre en œuvre pour la décontamination de locaux infectés, sauf à risquer de voir sa responsabilité engagée.
[1] TA Marseille, 24 mai 2011, Hierlé, n° 0805542
[2] CAA Marseille, 10 février 2009, n° 06MA01703
[3] CE, 16 décembre 2009, n°320840
[4] CE, 18 juin 2014, n°369531
[5] TA Versailles, 2 juin 1994, Hadjab, Lebon 1193
La procédure de référé-liberté permet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré[2] :
Par une ordonnance n°487891 du jeudi 7 septembre 2023, le Conseil d’État a donné raison au ministre et rejeté sur le fond, sans avoir à examiner la condition d’urgence, le référé introduit par l’association ADM[3].
Le Conseil d’État a jugé que la note de service du ministre n’emportait aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et validé la mesure en référé.
Pour parvenir à une telle solution, la haute juridiction administrative a pris en compte les éléments suivants.
L’association requérante faisait valoir que l’atteinte était caractérisée sur 3 libertés fondamentales : la vie privée, la liberté individuelle de porter une robe traditionnelle et le droit à l’éducation.
Ces moyens ont été balayés par le juge des référés.
En premier lieu, le Conseil d’État a rappelé que si la loi du 15 mars 2004 interdisait dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, elle autorisait à l’inverse le port de signes religieux « discrets » comme une croix, une main de fatma ou une étoile de David.
Dans ce cadre, le Conseil d’État a jugé que l’abaya et le qamis ne peuvent pas être regardés comme des signes religieux « discrets » au sens de la loi du 15 mars 2004 et qu’ils sont donc interdits à l’école.
En deuxième lieu, le juge administratif est allé plus loin en reprenant une définition de ces vêtements donnés à l’audience par le ministère : « les tenues de type abaya (…) un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin ». Le Conseil d’État considère donc que la mesure prise par le ministre n’est pas imprécise, puisque les vêtements interdits sont parfaitement identifiables. Cette définition validée par le juge sera utile aux chefs d’établissements.
Enfin, le Conseil d’État s’est appuyé sur le fait que les signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues religieux interdits dans les établissements d'enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente. Cette évolution à la hausse étant clairement liée au port de l’abaya et du qamis à l’école selon le juge administratif.
Dans ces conditions, le Conseil d’État a pu déduire que le ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse n’avait porté aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ou au principe de non-discrimination comme le faisait valoir l’association requérante.
Le Conseil d’État a donc logiquement rejeté le référé liberté de l’association ADM.
En rejetant le référé au fond, le Conseil d’État n’a même pas eu à examiner la condition d’urgence, ce qui n’est pas surprenant.
Le Conseil d’État a donc jugé le 7 septembre 2023 que :
L’ordonnance du 7 septembre 2023 du Conseil d’État sur le sujet de l’abaya n’est pas surprenante.
En effet, de jurisprudence constante, le ministre dispose en qualité de chef de service d’un pouvoir réglementaire lui permettant, en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, de prendre toutes mesures nécessaires à l’organisation de ses services[4].
C’est ce pouvoir qui permet notamment aux ministres de prendre des circulaires d’interprétation de textes législatifs.
La loi du 15 mars 2004[5] est claire, mais elle est volontairement imprécise : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
La loi fixe le cadre général et n’est pas faite pour prévoir à l’avance toutes les modes. C’est en revanche le rôle de ses textes d’application comme la note de service d’un ministre.
Par une circulaire du 18 mai 2004[6], le ministre de l’Éducation nationale avait déjà précisé que « le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive » devaient être regardés comme des signes religieux ostensibles interdits à l’école. On parle de signes religieux par nature.
Par la suite, la jurisprudence administrative a pu ajouter des interdictions sur des signes moins évidents comme un simple bandana. On parle alors de signes religieux par destination et c’est l’intention de l’élève qui prévaut :
« (…) après avoir relevé, par une appréciation souveraine des faits, que le carré de tissu de type bandana couvrant la chevelure de Mlle A était porté par celle-ci en permanence et qu'elle-même et sa famille avaient persisté avec intransigeance dans leur refus d'y renoncer, la cour administrative d'appel de Nancy a pu, sans faire une inexacte application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, déduire de ces constatations que Mlle A avait manifesté ostensiblement son appartenance religieuse par le port de ce couvre-chef, qui ne saurait être qualifié de discret, et, dès lors, avait méconnu l'interdiction posée par la loi (…) »[7].
Pour apprécier les intentions de l’élève, une phase de dialogue est prévue par les textes[8]. Les questions suivantes permettent aux chefs d’établissement d’arriver à une conclusion sur chaque cas particulier :
Il ne fait donc pas de doute que le ministre de l’Éducation nationale a la compétence juridique pour ajouter par note de service d’autres signes religieux par nature ou par destination dans la liste des signes interdits à l’école sur le fondement de la loi du 15 mars 2004 c’est-à-dire de la laïcité, sans violer les libertés fondamentales.
La légalité de l’interdiction de l’abaya à l’école est donc évidente sur le fondement de la loi du 15 mars 2004 telle qu’interprétée par le ministre qui a le pouvoir de compléter et préciser le texte. La procédure de dialogue prévue par le code de l’éducation permet par ailleurs que les droits des élèves et donc les libertés fondamentales soient respectées.
La réglementation du port des signes religieux à l’école est un sujet juridique assez simple en réalité, qui ne devient compliqué que quand des personnes qui, pour la plupart, ne connaissent pas les règles juridiques applicables, s’en emparent pour faire de la politique ou du prosélytisme.
L’ordonnance rendue le 7 septembre 2023 sur le sujet de l’abaya par le Conseil d’État ne clôt pas pour autant définitivement ce sujet. Il s’agit en effet d’une ordonnance rendue en référé, c’est-à-dire une décision provisoire d’urgence. Or un autre recours est possible contre la note de service du ministre : le recours au fond autrement appelé recours pour excès de pouvoir (REP) qui prend en moyenne plus d’un an à être jugé.
S’est déjà posée par le passé la question de la recevabilité d’un REP contre une note de service, qui est un texte juridique de plus faible valeur qu’un décret ou qu’une loi par exemple.
Le Conseil d’État a déjà tranché le point de la recevabilité du recours dirigé contre une note de service par une jurisprudence de principe. À l'instar de son raisonnement en matière de circulaires, le juge administratif a décidé que le recours contre une note de service est bel et bien recevable si elle contenait des dispositions impératives[9].
Il faut donc retenir que la note de service contenant des dispositions impératives est un acte susceptible d'être contesté devant le juge administratif.
Sur le sujet de l’abaya à l’école, il est certain que la note de service en date du 31 août 2023 du ministre de l'Éducation nationale contient des consignes impératives d’interdiction aux chefs d’établissement.
Un REP dirigé contre cette note de service sera donc recevable.
C’est le Conseil d’État qui sera compétent pour statuer en premier et dernier ressort en la matière, s’agissant d’un texte ministériel de portée générale et nationale[10].
À la suite du rejet de son référé liberté le 7 septembre 2023, il est probable que l’association ADM, une autre association ou même des parents d’élèves envisagent d’exercer un recours au fond contre le texte. Dans ce cas, le recours devra être exercé avant le 31 octobre 2023, le délai de recours étant de deux mois[11]. Le Conseil d’État statuera alors dans un délai assez long (sans doute plus d’un an).
Pour résumer, un recours au fond contre la note de service du ministre de l'Éducation nationale sur le sujet de l’abaya à l’école porté devant le Conseil d’État sera donc recevable sur le principe avant le 31 octobre 2023.
Ce qui ne veut pas dire que ce recours emportera l’annulation du texte…
Décision commentée : CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n°487891
[1] Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse n° 32 du 31 août 2023
[2] Article L. 521-2 du code de justice administrative
[3] CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n°487891
[4] CE, 7 février 1936, Jamart, n° 43321
[5] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
[6] Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées public
[8] Article L. 141-5-1 du code de l’éducation
[9] CE, 13 octobre 2008, n°312088
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